Les Ex-voto

Parmi toutes les richesses artistiques et spirituelles que l’on peut découvrir dans la basilique Notre-Dame de Thierenbach, les tableaux votifs peints qui, par centaines, tapissent une bonne partie de ses murs, ne sont pas les moindres et témoignent des ardentes prières de générations de pèlerins. En effet, 850 ex-voto s’y trouvent réunis sous forme de tableaux peints, d’images ou de reproductions, de plaques de bois ou de marbre, de couronnes de mariées et de cœurs en métal.

Le nombre des tableaux peints (370) et la longue période de production (le plus ancien remonte à 1680) permettent d’étudier l’évolution tant du contenu que de la forme et du genre. Cette période se découpe en trois parties. L’une de 1790 à 1865 durant laquelle 143 tableaux ont été recensés. Une deuxième de 1866 à 1905 fait apparaître une grande baisse de production, puisque apparemment seule une dizaine de tableaux ont été déposés. Enfin, une troisième période, de 1906 à nos jours, où l’on a pu inventorier 241 tableaux.

Parmi les motifs mis en évidence, celui concernant la maladie d’adulte ou d’enfants est de loin le plus fréquent. La situation liée à la petite enfance (issue heureuse à des couches difficiles ou maladie du nourrisson) plus fréquente au XIXe siècle, est minime pour la période récente. Le motif concernant la santé du bétail disparaît complètement après 1850. Par contre, les faits de guerre tiennent une place importante durant la période moderne. Rien d’étonnant à ce fait cependant. En effet, Thierenbach était à proximité directe des champs de batailles de la guerre de 1914-18, et non loin de lieux particulièrement éprouvés par des bombardements en 1940-45. il est à noter également qu’un grand nombre de tableaux concernent les incorporés de force alsaciens.

Les accidents de la route (voitures hippomobiles) apparaissent dès 1795 pour se multiplier considérablement au XXe siècle. Quelques ex-voto sont liés aux accidents du travail (accidents des bûcherons, meuniers, schlitteurs, mineurs) à des incendies ou des chutes.
Ainsi qu’on peut le voir, les tableaux anciens (1790‑1866 reproduisent une symbolique de l’image relativement stéréotypée. L’espace pictural se compose généralement de deux ensembles bien distincts : la scène céleste et la scène terrestre. Le ou les personnages célestes occupent le registre supérieur du tableau, tandis que la scène terrestre est représenté sur le registre inférieur. La scène terrestre qui rapporte l’anecdotique est naturellement plus variée que l’espace céleste : des personnages et toutes sortes d’autres éléments y trouvent leur place. L’élément anecdotique est souvent rapporté dans de nombreuses scènes, variées et pittoresques : présence d’animaux, maladies, accidents, chutes, etc. La position du corps, l’orientation du regard et la gestuelle des mains caractérisent l’attitude de recueillement qui, dans la plupart des cas, est celle d’un personnage à genoux, les mains jointes, le regard tourné vers la scène céleste.

Remarquons également que femmes et hommes sont rangés sur des bancs distincts, face-à-face, et selon la tradition, les hommes à droite et les femmes à gauche de la scène. La présence d’une croix au-dessus d’un personnage signifie qu’il s’agit d’une personne décédée. Le monde terrestre et le monde céleste ne sont pas deux mondes juxtaposés. Ainsi cette croix rappelle que ces personnages ne font pas partie de la scène terrestre que de façon symbolique. Il y a donc interpénétration des deux mondes, rendue possible non seulement grâce à l’intervention divine, mais aussi grâce à l’intervention humaine, par la voie de la prière et de la demande d’intercession, visant au salut du disparu. Ceci explique la doctrine de la communion des saints enseignée par l’Église catholique.

Les tableaux récents (1905-1978) laissent davantage libre cours à l’imaginaire et à l’anecdotique, au détriment du religieux. La structure générale de l’image subit des changements importants. Les éléments d’organisation et de figuration deviennent plus hétéroclites. Très souvent la scène céleste disparaît ou s’intègre dans l’espace terrestre. Parfois elle n’est plus matérialisée que par un rayon lumineux et lorsqu’elle a complètement disparu, la référence religieuse se réduit à la simple reproduction de la basilique. Si la scène céleste se rétrécit, l’anecdotique, la description d’accidents ou de maladies qui apparaissent dans la scène terrestre, sont davantage explicités. Le motif de l’intervention apparaît directement sur l’image et la lecture en est immédiate.

Une évolution s’est donc opérée au plan de l’expression de l’image. Les malheurs et la demande d’intercession divine pour y remédier, ne sont plus formulés de la même façon. Au XVIIIe siècle et jusqu’à la fin du XIXe siècle, le drame est à peine évoqué, alors que la démarche religieuse est fortement accentuée. Au XXe siècle l’anecdotique est mis en relief soit par l’image, soit par l’intermédiaire d’un texte. Cependant le motif pour lequel un tableau est déposé ne varie guère au cours des différentes périodes. Ces motifs sont en effet liés à la vie quotidienne de l’homme dans le milieu rural ou citadin. Ses problèmes sont ceux de la vie familiale, de la santé, de la naissance et de la mort, et de ceux qui viennent parfois changer brutalement ce quotidien: les accidents, les guerres. Seul le contexte a varié, l’automobile a remplacé la voiture hippomobile, les machines ont remplacé l’outil de l’artisan. Il s’agit toujours d’un appel, d’une prière adressé à la Vierge de Thierenbach à un moment tragique ou désespéré. Le dépôt d’un ex-voto (selon un vœu) témoigne de l’intervention miraculeuse de la Vierge.

Si l’ex-voto agit comme un langage religieux exprimant un savoir partagé et comme un miroir culturel où la communauté se reflète en tant que société, mais aussi comme ensemble d’individus, ce miroir doit être compréhensible et attractif pour tous, lettrés ou analphabètes. C’est le recours à l’art traditionnel, puissant auxiliaire d’une religion iconique, comme l’a toujours été le Christianisme. Dans ce sens, et modestement, le tableau votif et ses divers éléments significatifs se situent dans la lignée de l’art des temples et des cathédrales, livres de pierre ouverts pour la lecture et l’édification des fidèles.

Geneviève Herberich-Marx

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